Communiqué de l'Autorité de la concurrence
Après l'envoi de son rapport, l'Autorité de la concurrence synthétise ses recommandations.
COMMUNIQUE DE PRESSE
Le 2 octobre 2012
Nouvelle-Calédonie
L’Autorité de la concurrence publie ses recommandations au gouvernement de Nouvelle-Calédonie concernant le secteur de la grande distribution et le renforcement des capacités institutionnelles de la collectivité
Elle préconise notamment de renforcer la concurrence en amont en agissant sur la structure du marché, plutôt que de contrôler les prix de détail, et elle propose la création d’une autorité de concurrence de Nouvelle-Calédonie
Dans le cadre de la convention d’assistance technique conclue entre l’Autorité de la concurrence, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie et le Haut-commissaire de la République française le 14 février 2012, avec l’objectif de renforcer l’expertise de la collectivité d’outre-mer et ses outils en matière de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, l’Autorité vient de publier deux rapports concernant pour l’un les mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation et pour l’autre le renforcement des capacités institutionnelles de la collectivité de Nouvelle-Calédonie. Ces rapports établissent un diagnostic de la situation concurrentielle sur le territoire et émettent des recommandations.
Afin d’élaborer ces deux rapports, l’Autorité a dépêché une mission en Nouvelle-Calédonie au cours du premier semestre 2012. Trois rapporteurs de l’Autorité ont auditionné, avec l’appui des services du gouvernement local, les principaux distributeurs, importateurs et producteurs, les partenaires économiques ainsi que les représentants des différentes institutions politiques, administratives et sociales.
Les constats :
· Des situations d’oligopoles locaux dans plusieurs secteurs des produits de grande consommation
Compte tenu de l’étroitesse du marché domestique calédonien, qui limite les gains d’échelle possibles des activités locales, il existe sur certains marchés des situations d’oligopoles, voire de monopoles naturels. Ces situations d’oligopoles sont parfois renforcées par des dispositions telles que des barrières tarifaires et quotas d’importation, créées en vue de protéger les entreprises locales de la concurrence extérieure. Elles contribuent à l’augmentation du prix de nombreux produits importés.
· Une forte concentration du secteur de la distribution de détail
Parallèlement, la distribution de détail des produits de grande consommation (produits alimentaires ou ménagers) est très concentrée en Nouvelle-Calédonie. Sur la zone du Grand Nouméa, qui représente 90% du chiffre d’affaires des grandes surfaces alimentaires, deux opérateurs détiennent ainsi plus de 80% des surfaces commerciales sur cette zone. Cette situation est aggravée par les barrières réglementaires à l’entrée sur ce secteur, qui conditionnent les ouvertures des surfaces de plus de 300 m² à l’autorisation du président de l’assemblée de province, et par une définition du seuil de revente à perte qui interdit la rétrocession au consommateur des remises hors facture ou non-acquises au moment de la vente. La situation sur le marché a conduit le gouvernement de Nouvelle-Calédonie à réglementer les prix ou les marges de revente de plusieurs centaines de produits.
Les recommandations de l’Autorité :
S’il n’appartient pas à l’Autorité de la concurrence d’analyser la pertinence économique des choix politiques et économiques que constituent les mesures de protection quantitatives des entreprises locales instaurées en Nouvelle-Calédonie, elle rappelle cependant que concurrence et emploi ne sont pas antinomiques, les gains de pouvoir d’achat obtenus au travers d’une plus forte concurrence venant alimenter la demande d’autres services, eux-mêmes générateurs d’emplois. De plus, l’Autorité considère que des aménagements des réglementations existantes permettraient de renforcer la concurrence, sans nécessairement dégrader la situation de l’emploi en Nouvelle-Calédonie, et ce au bénéfice des consommateurs et de leur pouvoir d’achat.
L’Autorité émet plusieurs recommandations :
· Modifier les mesures de protection quantitatives dans un sens plus favorable à la concurrence
Du fait du manque de compétitivité des entreprises locales, une suppression brutale et profonde des dispositifs de protection quantitative existants risquerait de remettre en cause la viabilité même des entreprises agricoles ou industrielles locales. Cependant, les mesures suivantes permettraient d’atténuer leurs effets négatifs sur les prix et sur la concurrence tout en en améliorant l’efficacité pour la croissance néo-calédonienne :
> Transformer les protections de marché quantitatives (quotas ou interdictions d’importer) en protections tarifaires (taxes douanières). En effet, par rapport aux taxes douanières, les quotas entraînent un manque à gagner fiscal et contribuent à figer le marché, les quotas d’importation étant notamment attribués en fonction des positions passées de chaque importateur.
> Supprimer les droits de douanes supplémentaires imposés sur les importations de pays non-membres de l’Union européenne. En effet, ces taxes privent les consommateurs et les importateurs locaux des économies de coûts de transport dues à la proximité géographique de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie, qui représentent aujourd’hui 45% des importations de produits alimentaires en volume.
> Etre plus sélectif dans l’octroi des protections en les réservant aux industries porteuses en termes d’emploi ou d’activité, en rendant plus transparent leur mode d’attribution et en les conditionnant à des contreparties en termes de qualité ou de prix.
· Mettre fin à la régulation des prix et des marges, et privilégier une action sur les structures de marché, afin de renforcer la concurrence sur le marché de la distribution de détail
La régulation des prix et des marges mise en œuvre en Nouvelle-Calédonie pour un nombre significatif de produits présente plusieurs risques : indisponibilité des produits (compte tenu de son effet parfois dissuasif pour le distributeur), alignement à la hausse des prix (le prix maximum devenant également un prix minimum), « report de marge » vers les produits non réglementés (lorsque le distributeur augmente les prix de ces derniers pour compenser la faible marge réalisée sur les produits réglementés). Ces risques justifient que, comme dans la plupart des pays, cette régulation des prix ou des marges ne soit utilisée que sur des marchés où, pour des raisons conjoncturelles ou structurelles, la concurrence est effectivement mise en échec. Or, tel n’est pas le cas du marché de la distribution de détail en Nouvelle-Calédonie, sur lequel au moins une nouvelle enseigne a essayé d’entrer.
L’Autorité propose donc, pour renforcer la concurrence et faire baisser les prix, de mettre fin à ces réglementations des prix et des marges et de privilégier une action sur les structures de marché, en instaurant trois dispositifs complémentaires :
> un dispositif de contrôle des concentrations pour prévenir de futurs rachats entre concurrents. Ce dispositif, qui devrait s’appliquer à tous les secteurs d’activités, est essentiel compte tenu du niveau élevé de concentration de plusieurs secteurs économiques de l’île (dont la grande distribution est emblématique).
> un dispositif prévisible et transparent de contrôle des ouvertures de surface exclusivement fondé sur la mesure des parts de marché des concurrents déjà présents et souhaitant ouvrir un nouveau magasin (« test de concurrence »). En effet, il convient de faciliter l’implantation de nouveaux acteurs ;
> un dispositif d’injonction structurelle, dans l’esprit du projet de loi relatif à la régulation économique outre mer adopté par le Sénat en première lecture et en cours d’examen à l’Assemblée Nationale, permettant d’ordonner la cession d’actifs à une entreprise ou un groupe d’entreprises en position dominante et dont les prix ou les marges sont élevés en comparaison des moyennes du secteur.
Enfin, face à des activités industrielles ou agricoles concentrées et/ou relativement protégées de la concurrence étrangère, l’Autorité préconise d’alléger le cadre juridique des négociations commerciales et de permettre aux enseignes de la distribution de rétrocéder aux consommateurs toutes les remises qui leur sont octroyées par les fabricants.
Créer une autorité de concurrence indépendante, chargée du contrôle des pratiques anticoncurrentielles et du contrôle des concentrations
Depuis l’entrée en vigueur de la loi organique du 19 mars 1999, la Nouvelle-Calédonie dispose de la compétence en matière de droit de la concurrence. Cependant, le dispositif juridique et pratique pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles est insuffisant.
L’Autorité préconise, dans son rapport relatif aux structures de contrôle en matière de concurrence, compte tenu du diagnostic qu’elle a établi, que les textes relatifs à la concurrence qui s’appliquent en Nouvelle-Calédonie soient modifiés :
· Outre la mise en place de dispositifs de contrôle des concentrations et d’injonctions structurelles mentionnés ci-dessus, il serait souhaitable que les infractions en matière de concurrence (ententes anticoncurrentielles et abus de position dominante) puissent faire l’objet de sanctions administratives, comme c’est déjà le cas en métropole ou dans les DOM.
· L’Autorité de la concurrence recommande également la création d’une autorité chargée de la bonne application des règles de concurrence en Nouvelle-Calédonie. Cette autorité serait chargée du contrôle des pratiques anticoncurrentielles et du contrôle des opérations de concentrations.
Dans son rapport, l’Autorité indique que plusieurs options sont possibles, notamment la création d’une autorité indépendante 1 (qui requiert le vote d’une loi organique) ou encore, dans le cadre de la loi organique actuelle, la création d’une autorité aux pouvoirs consultatifs renforcés, le pouvoir décisionnel restant alors dévolu au gouvernement de Nouvelle-Calédonie.
1) A l’instar de plusieurs petits pays insulaires, comme par exemple l’Islande ou l’Ile Maurice.