Cousines d'Amérique
Trois Amérindiennes de la réserve de Standing Rock, dans le Dakota du Nord, ont été invitées par le collège de Rivière-Salée. Un projet pluridisciplinaire – linguistique, culturel, environnemental… – financé en grande partie par le gouvernement et qui bénéficie du soutien logistique du vice-rectorat.
La troisième fois a été la bonne. Après deux essais avortés, elles sont enfin là, en bas dans la cour ! Et les 55 mn de retard sur le timing prévu n'ont plus guère d'importance, depuis le temps que le collège de Rivière-Salée les attendait. Floris White Bull, Lee Ann Eastman et Kelly Morgan ne grimpent pas l'escalier sur leur Appaloosa, elles arrivent à pied, accompagnées de Gwendolen Cates, réalisatrice new-yorkaise qui suit leur combat environnemental à la trace, et Magdalena Rouby, professeur d'anglais au collège. C'est cette dernière qui a tissé le lien. Étudiante, elle a vécu un an dans la communauté Lakota à la fin des années 1990. Et depuis, les femmes Sioux et leur amie calédonienne ne se sont jamais perdues de vue.
« Nous travaillons ensemble sur ce projet depuis deux ans, expliquent Magdalena Rouby et Martine Abbadie, prof d'histoire-géographie de longue date dans l'établissement. Il mêle échange linguistique, culturel – il existe beaucoup de similitudes entre la culture amérindienne du Dakota Nord et la culture kanak – et échange autour de l'environnement. Nos élèves qui travaillent régulièrement sur des projets de développement durable sont sensibilisés aux problématiques de pollution de terres et de nappes phréatiques que rencontrent les populations amérindiennes à cause de l'oléoduc traversant leur territoire (lire ci-dessous) ».
Water is Life
Pour accueillir les descendantes du chef sioux Sitting Bull, le collège a convié quelques personnalités, comme Emmanuel Tjibaou, directeur du centre culturel Tjibaou, et Élie Poigoune, président de la Ligue des droits de l'Homme dont les quelques mots de bienvenue, empreints de sagesse et d'émotion, font mouche. Sensibilité à fleur de peau, fatigue du voyage, sentiment d'appartenance à un même peuple universel… un peu de tout cela sans doute. Toujours est-il que les larmes coulent sur de nombreux visages, pures comme l'eau cristalline des sources du Dakota du Nord avant la construction du pipeline. Les remerciements tombent eux aussi en cascade : « Pilamaya yé », « Lila wopila ».
« L'eau fait partie de notre vie, elle est dans nous, elle est nous, murmure entre deux sanglots Floris White Bull, avant de distribuer des autocollants « Water is Life » et des cartes postales de son glorieux ancêtre. Merci pour votre générosité, merci d'exister ». Kelly Morgan enchaîne : « Anpetu kin le ». Aujourd’hui est un bon jour.
L'altérité, un enjeu quotidien
Après avoir remercié ses deux enseignantes, « chevilles ouvrières du projet, dont l'énergie et la passion pour leur métier sont absolument admirables », Alexandre Beautru, le principal, se voit remettre une dent de bison, animal sacré des Sioux. « Ce projet répond à plusieurs objectifs pédagogiques, linguistique, environnemental bien sûr, et à un enjeu d'ouverture internationale vers un peuple qui lui aussi présente une double identité, tribale et nationale. Au-delà, ce qui nous intéresse, c'est la découverte de l'autre, de ce qui, derrière les différences, nous lie, nous rassemble, et pose les conditions du vivre ensemble. Pour nous, l'altérité est un enjeu quotidien… »
Confection de bijoux et objets traditionnels d’inspiration Lakota, jardin pédagogique, réalisation du journal de bord… tout au long du séjour, plusieurs ateliers et moments de partage d’expériences ont été organisés. Certains collégiens joueront les traducteurs – « une manière de les impliquer sur un projet interdisciplinaire » –, pendant que les Indiennes d'Amérique s'immergeront au sein de différentes classes. Construction d'un tipi, colonisation et décolonisation, problématique de l'eau, place des femmes dans les sociétés amérindienne et kanak…, les sujets d'échanges ne manqueront pas.
Couleurs de l'eau, de la paix et de l'espoir
« Je vous demande d'être dignes de vos invitées, représentantes du peuple premier des États-Unis que nous avons l'honneur de recevoir, insiste Hélène Iékawé, membre du gouvernement en charge de l'enseignement, en se tournant vers les élèves. Je sais que je peux vous faire confiance, je compte sur vous. À vous d'être dignes de ce que vous êtes ». L'heure des danses et chants traditionnels de Drehu (Lifou) a enfin sonné. Les troupes s'impatientaient un peu. Puis Wilfried, élève de seconde, se lance sans peur dans un slam revendicatif fustigeant les trop nombreuses souffrances endurées et mettant en exergue des valeurs de fraternité. Sur leur visage, tous les enfants ont peint deux bandes bleues et blanches : couleurs de l’eau, de la paix et de l’espoir…
Un programme chargé
Durant leur séjour, les Amérindiennes doivent se rendre au Sénat coutumier, arpenter la mangrove de Rivière-Salée, rencontrer des associations environnementales, passer un week-end à Lifou (partage avec des associations de femmes, découverte d'une vanilleraie, balades en forêt, ateliers artistiques…), visiter le centre culturel Tjibaou, participer à une table ronde en compagnie de la direction des Affaires vétérinaires, alimentaires et rurales (Davar) de la Nouvelle-Calédonie, échanger avec les danseurs de hip-hop du crew Résurrection, et continuer partout où elles le pourront (musées, parc forestier…) à s'imprégner de la culture locale. Elles reprendront l'avion pour Bismarck le 5 août.
Un oléoduc de 1 825 km
Ces militantes se battent contre le « Dakota Access Pipeline » qui, à travers les États du Dakota Nord (limitrophe du Canada), du Dakota Sud, de l'Iowa et de l'Illinois, reliera des champs pétrolifères à des réservoirs de stockage, 1 825 km plus loin. Cet oléoduc, déjà construit en majeure partie, doit pouvoir acheminer 570 000 barils de pétrole brut par jour. Il est contesté à plus d'un titre : en traversant sans autorisation légale des terres appartenant à ces populations, dont des cimetières sacrés, il violerait le Traité de Fort Laramie (Wyoming), signé le 6 novembre 1868 entre les États-Unis et le peuple Lakota, et surtout il génère une pollution aux métaux lourds des réserves d'eau potable, des sols et des fleuves.