Réfléchir au nouveau modèle économique calédonien
Le forum « Perspectives : pour un nouveau modèle calédonien financièrement soutenable, socialement juste et économiquement performant » était organisé mardi 6 juin, au Nouvata. L’événement, piloté par Adolphe Digoué, membre du gouvernement chargé de l’économie, a réuni plus de 300 acteurs de la société calédonienne.
Représentants d’institutions, acteurs économiques, partenaires sociaux, membres du gouvernement, étaient tous réunis mardi 6 juin au Nouvata, à l’occasion du forum « Perspectives ». Un forum consacré à la présentation des pistes d’action potentielles à mettre en œuvre afin de relever les défis du changement structurel de modèle économique, dans lequel la Nouvelle-Calédonie est appelée à s’engager.
« Notre modèle est à bout de souffle », a affirmé le président du gouvernement Louis Mapou dans son discours d’ouverture. En effet, entre la fin des années 1990 et le début des années 2010, la Nouvelle Calédonie a bénéficié d’une croissance exceptionnelle, conduisant à une augmentation de 30 % du niveau de vie moyen des Calédoniens. Depuis une dizaine d’année, le modèle peine à créer de la richesse, avec une tendance à la baisse et un produit intérieur brut (PIB) qui chute en moyenne de 1,6 % par an depuis 2017. Quatre caractéristiques de l’économie calédonienne permettent en partie d’expliquer cette orientation :
- des moteurs de croissance principalement exogènes : les transferts publics métropolitains et les exportations de nickel ;
- le poids important des dépenses publiques conjugué à une faible marge de manœuvre en termes de politique économique ;
- la très faible compétitivité de l’économie locale ;
- de très fortes inégalités sociales qui brident la croissance.
Pour ces raisons, une réforme du modèle économique calédonien est nécessaire. « Nous ne pouvons plus nous contenter de bricoler, a indiqué le président du gouvernement. Il nous faut franchir une étape en changeant le cœur du réacteur. Les défis qui nous attendent sont colossaux, mais il s’agit d’un passage obligatoire et la Nouvelle-Calédonie a montré ces dernières années sa capacité à faire preuve de résilience face aux défis qui se présentent à elle ».
Un travail collaboratif en amont
Organisé sous l’impulsion d’Adolphe Digoué, le forum « Perspectives » est le fruit de larges consultations préalables auprès des acteurs clés de la société calédonienne (représentants de la société́ civile, syndicats, associations, entreprises, etc.). Plus de 200 entretiens avec plus de 500 personnes ont été menés, ainsi que 200 contributions orales et écrites recueillies, afin de dresser un diagnostic de perception de l’économie calédonienne. Ces entretiens ont permis de recueillir une vision partagée des enjeux majeurs et incontournables dans la construction d’un nouveau modèle économique qui se baserait sur six grandes priorités :
1. la cohésion sociale et la réduction des inégalités
2. la gouvernance et la concertation
3. le développement et la résilience
4. le nickel et la transition énergétique
5. la biodiversité et le développement durable
6. l’insertion régionale.
Moins d’inégalités sociales et plus de compétitivité
La Nouvelle-Calédonie est à un moment charnière de son histoire pour lequel il apparaît nécessaire de bâtir un nouveau modèle soutenable dans le temps, ne s'appuyant pas uniquement sur l'industrie du nickel mais aussi sur son potentiel naturel, humain et culturel exceptionnel encore insuffisamment valorisé.
Les inégalités sociales, frein à la cohésion de la société, devraient être résorbées grâce notamment au déploiement d’une économie sociale et solidaire, inspirée des pratiques traditionnelles.
Le nouveau modèle économique doit ainsi s’appuyer sur une concertation efficace entre les différentes composantes de la société et un système institutionnel plus agile, afin de bâtir une gouvernance apaisée.
D’autre part, les efforts en faveur de l’accompagnement à l’innovation et à l’entrepreneuriat doivent également être poursuivis pour faire de la Nouvelle-Calédonie un territoire innovant et compétitif qui s’appuie sur ses spécificités océaniennes.
De plus, son patrimoine minier exceptionnel doit faire l’objet d’une valorisation optimisée tout en renforçant la résilience de l'industrie du nickel. La Nouvelle-Calédonie bénéficie en outre d’un fort potentiel de rayonnement qui mérite d’être davantage exploré et développé à l’échelle régionale.
Les leviers d’un modèle financièrement soutenable, socialement juste et économiquement performant
Pour atteindre ses objectifs de compétitivité et de justice sociale, la Nouvelle-Calédonie dispose de quatre leviers majeurs qui ont été présentés pendant le forum :
- Le développement de la concurrence
Pour ce faire, « il faut développer la création de richesse au sein des entreprises, a expliqué Olivier Sudrie, économiste spécialiste des Outre-mer. Actuellement, les coûts de production et donc les prix sont trop élevés et on a du mal à vendre les produits que l’on fabrique. L’idée est d’améliorer la compétitivité et de réduire les coûts, afin de développer l’économie marchande privée, qui deviendra le nouveau moteur de croissance ».
- L’action sur les prix, au travers de la politique fiscale et budgétaire
Une solution qui serait possible, d’une part, grâce à l’accroissement de la fiscalité sur les hauts revenus (notamment via la contribution calédonienne de solidarité) et d’autre part grâce à la désindexation progressive et partielle des salaires dans la fonction publique territoriale. « En Calédonie, il n’y a pas trop de fonctionnaires, mais le coût de fourniture du service public est majoré par la surrémunération des fonctionnaires, a précisé Olivier Sudrie. Réduire ce coût, c’est réduire les impôts. Une des solutions serait donc de réduire progressivement l’indexation, notamment sur les plus hauts traitements de la fonction publique ».
- L’action sur les coûts par la réduction des cotisations sociales
Ce levier est essentiel pour améliorer la compétitivité des entreprises calédoniennes. « Il faut effectuer un transfert des cotisations sociales, qui pèsent actuellement sur le travail et réduisent notre compétitivité, vers l’impôt, a préconisé l’économiste. C’est-à-dire alléger le coût du travail, redonner du pouvoir d’achat aux salariés par la restitution de ces cotisations et aller chercher les ressources à travers la fiscalité ».
- Le renforcement de l’inclusion économique à travers le développement de l’économie sociale et solidaire (ESS)
Avec une approche plus étique et plus morale, basée sur la solidarité et l’utilité sociale, l’ESS permettrait notamment d’atteindre les objectifs de justice sociale et de concertation visés par le nouveau modèle économique.
Le gouvernement va désormais se saisir des pistes présentées lors du forum afin d’engager le travail. « Nous allons constituer un groupe de travail afin de proposer quelque chose avant la fin de l’année, a confié le président Louis Mapou. Nous allons également consulter l’ensemble des acteurs économiques et sociaux à ce sujet, car si nous voulons gagner le pari de la transformation de notre modèle économique et social, il faut qu'il y ait une adhésion la plus large possible ».
