L’hommage à Déwé Gorodey
Femme de convictions, personnalité éminente de la vie politique calédonienne, Dewé Gorodey s’est éteinte à l’âge de 73 ans, après un long combat contre la maladie. Elle a participé à tous les gouvernements depuis le premier en 1999, jusqu’en 2019. Les hommages se sont multipliés à l’annonce de sa disparition.
C’est chez elle, à la tribu de l’Embouchure à Ponérihouen, qu’ont eu lieu les obsèques de cette grande dame « dont le parcours se confond avec celui de l’histoire du pays de ces cinquante dernières années », pour reprendre les mots du président du gouvernement Louis Mapou, prononcés lors de son discours d’hommage. Le président ainsi que les membres du gouvernement Vaimu’a Mulia et Joseph Manauté étaient présents aux côtés de son clan, sa famille et ses amis pour lui dire un dernier adieu ce mardi 16 août.
L’engagement militant
Férue de littérature, Dewé Gorodey s’envole à Montpellier en 1969 pour y suivre des études de lettres jusqu’en 1973. C’est à cette époque que s’épanouit son militantisme en faveur de l’émancipation du peuple kanak. Imprégnée des idées politiques contestataires et de liberté de mai 68, elle rejoint les groupes indépendantistes kanak et participe à la création du Palika. Son activisme lui vaut d’être incarcérée au Camp-Est en 1974 et en 1977. Elle y écrit une partie de son premier recueil de poésie Sous les cendres des conques, publié en 1984 et dans lequel elle exprime son combat politique autant que son attachement à sa culture.
Femme de cultures
Après avoir enseigné les lettres et la littérature océanienne, à Houaïlou, Poindimié et Nouméa, elle rejoint en 1999 le premier gouvernement collégial institué par l’Accord de Nouméa. Elle y est restée vingt ans durant lesquels elle s’est vu confier les secteurs de la culture, de la jeunesse et des sports, ainsi qu’à partir de 2009, la condition féminine et la citoyenneté jusqu’à la fin de son dernier mandat où la maladie la contraint de se retirer de la scène politique. Vice-présidente du gouvernement à plusieurs reprises, « elle a même, comme l’a rappelé Louis Mapou, assumé le portefeuille des affaires coutumières, bravant toujours cet interdit psychologique qui nuit à l’expression de la liberté et au nom de la nécessaire évolution des sociétés humaines ».
Déwé Gorodey laisse une empreinte indélébile dans le paysage culturel calédonien. Durant ses mandats, elle a impulsé la création de nombreuses structures au service du développement de la culture. La maison du livre, l’académie des langues kanak, le salon international du livre océanien (SILO), la case des artistes ou encore le pôle d’export de la musique et des arts de Nouvelle-Calédonie (Poemart) sont le fruit de son héritage.
Briser le tabou des violences féminines
Pionnière du combat féministe en Nouvelle-Calédonie, cette femme d’avant-garde a notamment mis en place les maisons de la femme. Son engagement en faveur de l’égalité hommes-femmes s’est traduit dans son œuvre littéraire, où elle parvient à conjuguer la place des femmes kanak d’aujourd’hui sans trahir leur lien sacré au passé.
À travers son roman l’Épave publié en 2005, elle porte courageusement et sans tabou, la parole de ses pairs, salies et abusées dès l’enfance. Reconnu comme le premier roman kanak, l’ouvrage a été primé au SILO en 2007.
Dans Uté Mûrûnû, petite fleur de cocotier, un recueil de poésie de 1994, elle écrivait : « Et si nous n’avons pas demandé à venir au monde, si nous n’avons pas choisi de naître femmes, nous n’avons qu’une vie, ici et maintenant, alors tentons au moins de la vivre au lieu de la subir ».
Après avoir retracé son parcours, où « le combat, la culture et la littérature furent tes outils de prédilection » Louis Mapou a conclu cet hommage en ces termes : « Déwé, tu laisses un patrimoine vivant dont des générations bénéficieront encore longtemps. »