Voir Tanna et sourire

Toute l’équipe avec une partie des habitants de Manuapen.

Toute l’équipe avec une partie des habitants de Manuapen.

Cinq mineurs du Foyer d’action éducative de Nouville (FAEN), trois filles et deux garçons âgés de 14 et 15 ans, ont séjourné du 22 au 28 avril sur l’île vanuataise de Tanna, accompagnés par trois éducateurs. Un voyage humanitaire qui, pour la direction de la Protection judiciaire de l’enfance et de la jeunesse (DPJEJ), avait pour objectifs de valoriser ces jeunes en difficultés et de les confronter à un mode de vie où « les gens n’ont rien, mais sont heureux ».

 

Apporter des livres, des fournitures scolaires et du dentifrice à des personnes qui en manquent cruellement, s’immerger dans une culture et un environnement différents afin de porter un regard critique sur les siens, favoriser l’ouverture d’esprit, souder un groupe autour d’un projet commun, redonner confiance, développer l’estime de soi… ce voyage avait de multiples objectifs.

Le lundi 22 avril, accompagnés de trois éducateurs – Mariella Bonino, Rachid Elgharbi et Jean-Baptiste Talalua –, cinq mineurs placés au FAEN découvraient le village francophone de Manuapen, Alick, le chef du village, et tous les habitants qui allaient les accueillir pendant une semaine. L’importance du nakamal, la maison des hommes, la cérémonie du kava, des conditions de vie précaire avec deux heures d’électricité par jour fournie par un groupe électrogène et une poignée de panneaux solaires… Les jeunes ont lentement plongé dans les traditions et le quotidien de la population de Tanna. Ils ont visité l’école primaire et le collège-lycée à une heure et demie de route cabossée, entassés dans la benne, participé aux activités du village, se sont baignés dans les eaux bordées par la magnifique plage de Port Résolution et, bien entendu, sont partis à la tombée de la nuit à l’assaut du volcan Yasur et de ses boules de feu orange.

Fini les gros mots !

« Ils étaient un peu surpris au départ. Et puis les filles, qui faisaient la tambouille, ont très vite trouvé leur place dans la vie du village, les garçons, chargés de la pêche, sont restés un peu plus en retrait, de par leur caractère aussi », indique Mariella. Progressivement, les regards ont changé, le vocabulaire particulièrement fleuri des cinq mineurs s’est délesté au fil des jours des habituels gros mots, au contact d’autres jeunes ne pouvant acheter ni téléphone ni paire de baskets, mais ne se plaignant jamais et se rendant chaque matin à l’école…

L’une des gamines a même rencontré de la famille éloignée qui l’a reçue à bras ouverts et lui a suggéré de venir en vacances au Vanuatu. « Elle était très émue que des gens puissent s’intéresser à elle, sans même la connaître  », rapporte Rachid. Et le repas d’adieu, qui a réuni toute la tribu autour d’un bougna au cochon et de nombreux cadeaux issus de l’artisanat local (colliers, sacs, plumes…) a fait couler les larmes dans les deux camps. Comme un épilogue de l’émission Rendez-vous en terre inconnue.

« Quand tout le monde coursait la poule… »

« Je me sentais mieux après, on était trop bien là-bas… Ils sont heureux de leur vie, je serais bien restée un peu plus, ils sont trop gentils… Ils nous ont raconté qu’il n’y a pas de violence… Les enfants vont me manquer, ils se baladaient avec nous toute la journée », confie Astrid*, pêle-mêle. Le moment dont elle se souvient tout particulièrement ? « Quand tout le monde coursait la poule, pour le repas, le chien aussi ! »

« Il faut du temps pour que tout cela mature, précise Mariella. Mais ce voyage les a marqués, fait réfléchir. Ils en ont parlé longtemps après le retour. Ils en tireront un bénéfice, mais pas tout de suite ». Amaia*, elle, prépare un slam version Tanna. Et nous livre en exclusivité deux trois paroles : « Ils n’ont rien mais ont toujours le sourire, comment ils arrivent à vivre comme ça… ».

Des petites graines qui mûriront un jour

« Avec nos publics, on ne sait jamais comment ça va se passer, c’est toujours un peu anxiogène, même si on a une équipe de professionnels solides en qui on a toute confiance. Mais le bilan est très positif !, conclut Karen Vernière, responsable du FAEN. Quatre ans de boulot qui, malgré les moments de tension et les galères (lire ci-dessous), aboutissent enfin ! Certains n’avaient jamais pris l’avion. Il y avait de l’angoisse le soir du départ à Tontouta. Au retour, leurs visages s’étaient métamorphosés ! C’est satisfaisant, avec un minimum de moyens, de permettre à des gamins de vivre une expérience qui fera écho, qui aura du sens, dans cinq… ou dix ans. On ne sait jamais quand les petites graines qu’on sème finiront par mûrir ».

* Prénoms d’emprunt
L’incontournable volcan du Yasur a fortement impressionné les mineurs du foyer de Nouville.

L’incontournable volcan du Yasur a fortement impressionné les mineurs du foyer de Nouville.

 

 Détente à Port Résolution pour les cinq jeunes, en compagnie du fils du chef Alick.

Détente à Port Résolution, en compagnie du fils du chef Alick.

 

Autour du bougna d’adieu.

Autour du bougna d’adieu.

 

 

Quel public ?

Ces mineurs sont confiés au FAEN “sous main de justice”, suite à un placement judiciaire décidé par un magistrat. Soit parce qu’ils sont sous protection (carences éducatives, difficultés familiales…), soit parce qu’ils ont commis un acte de délinquance, et dans ce cas-là le maintien au domicile n’est pas opportun par rapport aux risques de récidive. Scolarisés dans des établissements de Nouméa, ils bénéficient d’un planning aménagé et certains de soins spécifiques. L’équipe pluridisciplinaire du foyer met en place de très nombreuses activités éducatives, sociales ou culturelles comme du théâtre, du cirque, des camps ou encore des “semaines Koh Lanta” (à Hienghène, Lifou, sur la Côte oubliée…). Son objectif : que le retour en famille soit le plus rapide possible. La durée d’un placement varie de six mois à quatre ans.

La préparation

Avant le départ pour Tanna, l’ensemble de l’équipe éducative du FAEN avait concocté tout un programme pour amener les jeunes à se projeter dans le voyage. D’abord une collecte de vêtements, un appel aux dons, ensuite, auprès des agents de la DPJEJ pour des produits d’hygiène (dentifrice, brosses à dents, savon…), ainsi que du petit matériel de bricolage et de pêche, enfin la préparation des colis. Une initiative à laquelle les agents de la direction des douanes ont également participé. Durant les vacances d’avril, la semaine précédant le départ a été consacrée au Vanuatu, avec confection d’un repas vanuatais partagé avec les parents, visite du musée de Nouvelle-Calédonie et présentation de la vie à Tanna par l’association Solidarité Tanna. À Tontouta, chacun a embarqué avec 23 kg : 10 kg d’affaires personnelles et 13 kg de fret, soit plus de 100 kg de matériel destinés aux habitants de Manuapen.

Un projet difficile à concrétiser

Quatre années auront été nécessaires à la réalisation d’un projet initié en 2015 par Jean-Yves Lerandy, un éducateur qui depuis a rejoint un autre service de la DPJEJ. Pour différentes raisons, parmi lesquelles la complexité de l’organisation logistique à mettre en place avec des mineurs et surtout la difficulté à assurer le montage financier. À l’arrivée, le gouvernement a pris en charge une partie du budget total (500 000 F), Aircalin a fait un geste sur les billets d’avion Nouméa-Port Vila et l’association Solidarité Tanna a également mis la main à la poche. Quant aux jeunes pressentis à l’origine, puis lors du “faux départ” de fin 2018 (un groupe investi depuis longtemps dans l’opération), ils sont entre-temps devenus majeurs. Et ce sont cinq nouveaux pensionnaires, mineurs, du foyer, qui se sont envolés pour le Vanuatu.

 

 

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