Tous mobilisés pour préserver l’eau
Le Forum H2O, qui s’est tenu du 18 au 20 avril à Nouméa, a enregistré une affluence record avec près de 300 participants par jour, soit un Calédonien sur 1 000 ! Bilan de cette concertation de grande envergure sur la préservation de l’eau, avec les membres du gouvernement Nicolas Metzdorf, en charge de la politique de l’eau, et Didier Poidyaliwane, chargé de l’écologie, du développement durable et des affaires coutumières.
Au vu de la fréquentation de l’événement, c’est un bilan « très positif » que tirent unanimement les deux hommes, se félicitant de « la participation de tous les acteurs de l’eau : institutions, coutumiers, agriculteurs, bureaux d’études, associations pour l’environnement… ».
« Nous disposons maintenant des éléments nécessaires pour bâtir une politique complète et concertée de l’eau, poursuit Nicolas Metzdorf. Elle prendra la forme d’un schéma de l’eau, à l’image du schéma pour la transition énergétique de la Nouvelle-Calédonie ».
Ce document, qui pourrait être soumis au Congrès « d’ici à la fin de l’année », sera bâti autour de trois grands axes : de l’eau pour tous, de l’eau pour créer de la richesse, et de l’eau pour l’environnement. Il fixera des objectifs chiffrés à l’horizon 2030 et proposera des actions concrètes.
De l’eau pour tous
Amener de l’eau de qualité à tous les Calédoniens est le premier enjeu que devra relever la Nouvelle-Calédonie, dont 30 % des unités (pompage et captage) ne subissent aucun traitement bactériologique. De nouvelles infrastructures de prélèvement et de distribution seront donc nécessaires, notamment dans les zones isolées.
Autre étape indispensable : la collecte de données pour consolider la connaissance des ressources. Insuffisantes à l’heure actuelle, elles permettront de définir une politique efficiente de gestion de l’eau.
En parallèle, il s’agira de sécuriser les ressources, dont « 60 % se situent sur terres coutumières. Le travail avec les autorités coutumières sera donc primordial, estime Didier Poidyaliwane. Malgré le lien très fort qui existe entre les clans et leur terre, l’eau est un patrimoine à partager… ». Une évolution des mentalités est attendue. Pour l’accompagner, le membre du gouvernement compte œuvrer « avec pédagogie », en impliquant les usagers afin de les sensibiliser et de les responsabiliser. « De nombreux périmètres de protection des eaux sont dégradés par le feu ou les espèces envahissantes (cerfs, cochons et pinus, notamment). On pourrait faire participer les habitants à leur réhabilitation, à travers des projets de mini-pépinières en tribu pour reboiser, par exemple. »
De l’eau pour créer de la richesse
Indissociable de la stabilité et du développement de l’économie, l’alimentation en eau pérenne des entreprises (industrie minière, agriculture, etc.) est un autre défi que devra relever la Nouvelle-Calédonie. « On a un bon potentiel de ressource en eau de pluie, mais 70 % de celle-ci tombe durant les quatre ou cinq premiers mois de l’année, analyse Nicolas Metzdorf. Il faut donc la récupérer et la stocker ». Pour y parvenir, la construction d’infrastructures sera là aussi nécessaire. « On pense à des retenues, qui pourront contribuer au développement des activités agricoles en leur donnant les moyens de se rapprocher de l’objectif d’autosuffisance alimentaire que s’est fixé la Nouvelle-Calédonie. »
Par ailleurs, l’eau a également un coût, aujourd’hui variable d’un endroit à l’autre. « Payer le juste prix de l’eau lui confère une valeur, poursuit Nicolas Metzdorf. C’est le meilleur moyen de lutter contre la surconsommation tout en allégeant le poids que représente ce poste dans les budgets municipaux. » Autant d’économies que les élus pourraient en effet consacrer à l’amélioration des réseaux d’adduction d’eau potable, d’assainissement, etc.
De l’eau pour l’environnement
« L’un des points marquants de ce forum a été la prise de conscience par tous que l’environnement avait lui aussi besoin d’eau, au même titre que les hommes, l’élevage, etc., souligne Didier Poidyaliwane. Et d’une eau de qualité ! ». En la matière, des efforts importants devront être réalisés pour développer les réseaux d’assainissement, lutter contre les fuites, prévenir les risques de pollution ou encore désengraver les creeks. « Deux cents cours d’eau, soit 600 km de lit de rivière, sont concernés », précise Nicolas Metzdorf.
La feuille de route s’annonce chargée et ses objectifs, ambitieux. C’est pourquoi la politique de l’eau dans laquelle la Nouvelle-Calédonie entend s’engager devra pouvoir s’appuyer sur les efforts de tous, bien sûr, mais aussi sur une gouvernance claire. « La compétence de l’eau est éclatée, reconnaît Nicolas Metzdorf. Mais il existe déjà un espace de coordination, la mission interservices de l’eau – MISE – qui, une fois officialisée, pourrait mettre en œuvre et suivre le schéma de l’eau ».
Gérard Fallon, directeur des Affaires vétérinaires, alimentaires et rurales de la Nouvelle-Calédonie (DAVAR)
« La superbe mobilisation de tous les acteurs de l’eau pour ce forum signifie qu’il y a des inquiétudes et qu’on ne peut plus faire autrement qu’aborder la question de la gestion de l’eau. Ce forum a permis de produire un matériau précieux : des éléments de diagnostic, des pistes de solution, etc. Et il a permis de partager des idées parfois très éloignées, à travers un large éventail de contributions. Mais malgré ces écarts de points de vue, on voit des convergences, comme le souci d’alimenter en eau la population ou encore la volonté de protéger la ressource, qui est vulnérable par nature, et de surcroît, exposée à de nombreux dangers. On voit aussi que, quel que soit le mode de gestion de l’eau choisi, tout tend vers la mise en œuvre d’un plan d’action. Tout le monde est d’accord sur le fait qu’il faut avancer ! »
L’avis des cinq experts
Olivier Sudrie, économiste ultramarin, cabinet DME (France)
« Au plan économique, c’est le prix de l’eau qui a retenu l’attention durant ce forum. On a longtemps pensé que cette ressource était gratuite et aujourd’hui encore, en Calédonie, on ne paye pas l’eau partout à son juste prix. Elle est subventionnée à 70 ou 80 % dans les communes de l’intérieur et cela pèse sur les budgets des communes. Alors que quand l’eau est au juste prix, d’une part on ne surconsomme pas et, d’autre part, on économise de l’argent que l’on peut mettre dans d’autres activités, comme l’agriculture qui en a bien besoin. Il faut hiérarchiser les besoins, tout le monde doit contribuer en échange du service de fourniture de l’eau, dans tous les secteurs. On sait aussi que des investissements sont à faire pour améliorer la potabilité de l’eau. Ils sont estimés à environ 6 milliards de francs, une somme qui semble finançable à travers la redevance. D’autant que ces investissements permettront d’améliorer la santé de la population… »
Danny Greenwald, expert en assainissement et traitement de l’eau, Water Authority (Israël)
« Je suis très optimiste à l’issue de ce forum ! Je constate qu’une gamme très large de représentants de la population sont restés trois jours, ont réfléchi… On sent que la question est importante pour eux, et les décideurs le savent également. Pour le moment, il est difficile d’évaluer l’ampleur du problème car on n’a pas assez de données. Une fois que vous en aurez suffisamment, vous pourrez établir vos priorités : améliorer la sécurité sanitaire en actualisant peut-être la norme de l’eau potable, réunir les forces vives nécessaires (techniciens, ingénieurs…) pour travailler sur la question de l’eau, traiter le problème des fuites, penser aux différents usages économiques de l’eau en gardant à l’esprit l’autosuffisance alimentaire qui est une vraie préoccupation en milieu insulaire, etc. La Nouvelle-Calédonie est un très beau pays, attachez-vous à le préserver car vous avez des défis à relever. Puissiez-vous prendre les bonnes décisions pour que tout se passe bien ! »
Martin Gutton, directeur général de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne (France)
« J’ai découvert des problématiques que j’ignorais : les défrichements, les feux de forêt, les espèces invasives comme les cerfs et les sangliers qui ont des conséquences très graves sur le milieu, l’impact des industries minières. Des défis sacrément lourds à relever, avec les moyens forcément limités d’un territoire de 280 000 habitants, de surcroît très étendu. Mais, à l’issue de ces trois jours de séminaire, j’ai senti une véritable ambition pour construire une politique de l’eau. Et quand on additionne toutes les compétences et les capacités d’expertise qui se trouvaient dans la salle, je suis certain que vous avez tous les atouts pour y parvenir. La principale difficulté consiste à mettre en place une politique tenant compte de l’ensemble des spécificités, géographiques, économiques, sociales : une agglomération qui regroupe 75 % de la population, des territoires ruraux peu peuplés, du littoral, de la montagne, des îles aux problématiques encore différentes avec une géologie particulière et des ressources en eau menacées comme les lentilles d’eau. Sans oublier la dimension des espaces coutumiers. »
Francine Tsiou Fouc, en charge de l’élaboration et du suivi de la politique de l’eau au gouvernement de la Polynésie française
« Ce qui m’a le plus marquée, c’est la mobilisation constante des acteurs pendant trois jours très intenses, et leur participation passionnée. J’ai assisté à quatre ateliers et trouvé le panel des thématiques et sous-thématiques très intéressant. J’aurais aimé participer aux seize réunions, mais ce n’était pas possible ! Lors de la restitution, j’ai été impressionnée par la qualité des rendus. Durant les ateliers, les gens me disaient souvent qu’ils n’avaient pas mon expertise, mais tout le monde est expert dans sa matière, et c’est la richesse des apports individuels qui crée l’expertise calédonienne. […] La direction de l’environnement de la Polynésie française va prochainement travailler de manière très étroite avec la DAVAR sur des échanges d’expériences par rapport au suivi de nos ressources en eau. Elle met en place des réseaux de connaissance de nos eaux souterraines et de nos cours d’eau, et comme vous êtes très avancés dans ce domaine, que vous connaissez les volumes disponibles, nous allons pouvoir échanger. Dans l’autre sens, nous réfléchissons à la création d’un portail sur l’eau. La Calédonie ambitionnant de le faire, elle observe l’évolution de nos travaux. C’est une collaboration technique, forte et complémentaire. »
Jim Keary, spécialiste des politiques publiques de l’eau, directeur général de Hunter Water (Australie)
« Ce forum a dépassé toutes mes espérances. De nombreuses personnes se sont déplacées, ont travaillé d’arrache-pied, abordé des sujets très difficiles, partagé énormément d’idées. Au fur et à mesure que les journées passaient, les échanges devenaient de plus en plus ouverts. Jusqu’à dresser une cartographie avec la voie à suivre. Pour trois jours de travail, c’est un excellent résultat. Ces 300 personnes d’horizons et de points de vue très différents se sont lancées dans un processus politique intelligent auquel toutes ont aujourd’hui la sensation d’appartenir. Au cours de ma carrière, j’ai rarement vu un tel phénomène se produire devant moi. Même si le mille-feuille administratif complique un peu les choses, il est à présent impératif que le projet soit dans six mois sur le bureau du Congrès. Dans tout processus de changement, il faut d’autre part des leaders, qui donnent le tempo. Vous en avez d’excellents ici, notamment votre jeune ministre Nicolas Metzdorf. Il sait écouter, mener les débats, il est même parvenu à concilier des convictions assez opposées. Et ça, c’est un sacré atout. »