Les chefs échangent leurs recettes
Lancé le 28 avril dernier, le projet pilote Recettes bénéfiques organisait les 7 et 8 juin à l’EFPA* un séminaire qui a réuni une vingtaine de chefs de cantine. Objectif, établir le Top 20 des menus préférés des élèves puis le Top 20 des recettes, afin, petit à petit, de changer les habitudes alimentaires des enfants par l’introduction de produits locaux dans leurs assiettes.
À eux seuls, les vingt chefs représentent trois provinces, plus de 30 000 repas servis chaque jour et pas moins de 345 ans d’expérience professionnelle. « D’abord, nous voulions connaître les menus qui fonctionnent bien, ce que les enfants apprécient, avant de pouvoir répondre à la question fondamentale : comment introduire de manière parcimonieuse les produits locaux dans les assiettes, souligne Gabriel Levionnois, pilier du concept des Recettes bénéfiques. Si on n’y répond pas, ou qu’on y répond mal, on sera en décalage avec la réalité du terrain et celle que les chefs vivent au quotidien ». Comment, également, proposer des menus susceptibles de plaire à l’ensemble d’une population cosmopolite, de culture culinaire et niveau social bien différents…
Adapter en étant inventif
« On a remarqué que les enfants n’aimaient pas le changement brutal, poursuit Gabriel. L’évolution doit se faire de manière homéopathique ». Peur de l’inconnu ou au contraire envie de manger d’autres aliments qu’à la maison, chacun a de bonnes raisons de repousser les nouveaux plats. « Si on les échaude une seule fois avec quelque chose qu’ils ne connaissent pas et qu’ils ne vont pas aimer, après c’est fichu », constate Pascal Ville, chef au Lycée du Grand Nouméa. « Le plus important, c’est d’abord le regard, affirme Odile Lanciaux, quarante ans de métier dont vingt comme chef au collège Mariotti, une jeune retraitée venue partager son expérience. Il ne faut pas hésiter à habiller le plat, l’enjoliver, décorer en ramequin, agrémenter avec de la crevette, mettre de la couleur… » « En étant inventif, créatif, on peut utiliser les recettes qui marchent bien et adapter les produits locaux à ces recettes, en gardant l’aspect visuel auxquels les enfants sont habitués », résume Gabriel.
Comprendre la mécanique de la cantine
L’objectif du séminaire organisé à l’EFPA est aussi d’identifier les spécificités et contraintes des uns et des autres, de pointer leurs besoins, avant d’amorcer le virage. Parce c’est le chef, véritable ambassadeur du mieux manger, qui impulse, ou pas, la dynamique. D’une façon générale, les cantines fonctionnent de manière sectorisée, sans espace collaboratif. « Les occasions de nous rassembler sont rares, confirme Pascal Ville. D’où l’intérêt de ces échanges qui permettent, entre autres, de recenser nos difficultés ».
Odile, elle, en a profité pour transmettre des recettes à ses pairs, alors qu’Irma, de Pouébo (lire ci-dessous) est venue, après une formation à Koumac, pour continuer à apprendre et évoluer dans son métier. « Ces deux journées m’ont beaucoup apporté, indique-t-elle. Là-haut, je suis isolée, je travaille toute seule. Ce type de réunion permet d’exposer ses problèmes, de faire connaître ses attentes et de partager les astuces ».
Tournage au collège d’Auteuil
Prochaine étape, les 14 et 15 juin au collège d’Auteuil. « On va extraire une vingtaine de recettes, les tester en milieu professionnel et réaliser des fiches techniques », explique Gabriel. La cantine du collège servira aussi de cadre au tournage de tutoriels de cuisine, supports visuels des recettes sélectionnées. D’autres tutoriels, simples et accessibles, destinés à faciliter le quotidien, souvent très chargé, des chefs, alimenteront eux aussi une future plate-forme numérique participative. « Dès lors que son contenu sera co-créé, sur la base des besoins et des réflexions des chefs, elle aura plus de chances d’être utilisée régulièrement. »
* Établissement de formation professionnelle des adultes
Irma, militante du mieux manger
Chef de production à la cuisine centrale de Pouébo, Irma Boiloa sert plus de 500 repas chaque midi aux classes primaires et maternelles de la commune (privé et public). Comme ses collègues, elle tente, bouchée après bouchée, d’introduire des produits locaux dans les assiettes. « Il faut changer en douceur, sans trop bousculer », assure celle qui lutte, parfois à armes inégales, contre les inévitables cordons-bleus, boulettes et autres saucisses surgelés que les gamins prennent l’habitude d’avaler avec plaisir dès l’âge de trois ans. « Alors, si on leur donne sans transition des produits locaux, faut pas s’étonner du gaspillage. » Irma se bat également pour préserver, à travers des recettes bénéfiques, les traditions et valeurs culturelles qui se perdent. Elle aide les producteurs de la région à écouler leurs fruits et légumes tout en régalant les élèves en bout de chaîne – « c’est du gagnant-gagnant » –, tente de valoriser la banane, produit phare de Pouébo, expérimente de nouvelles recettes audacieuses chez elle, « sans jury », et continue de militer pour un mieux manger, persuadée que l’éducation des enfants passe aussi par le palais et les saveurs locales. Elle qui leur répète souvent : « Profitez du repas équilibré qu’on vous donne à midi, avec une entrée, un plat et un dessert ». Ce qui n’est pas forcément le cas le soir à la maison.
Quelques conseils
- Privilégier les valeur sûres : sautés, rôtis, ragouts, salade de poisson cru, cuisine ethnique (exemple : bami), plats en gratin (hachis parmentier, lasagnes, raviolis, pâtes aux saucisses…).
- Introduire fruits et légumes locaux dans les salades composées, les sauces (lait de coco, épinards, bananes…) et bien sûr en accompagnement de viandes.
- Remplacer aussi souvent que possible (purée, frites…) pommes de terre par patates douces, ignames ou autre tubercule approprié.
- Mélanger discrètement des produits comme ignames, aubergines, purée de carottes… au riz ou aux pommes de terre.