La JDC en prison
Le 18 mai dernier, sept mineurs du Camp-Est ont pu bénéficier de la Journée défense et citoyenneté (JDC), organisée à l’intérieur du centre pénitentiaire grâce à une convention signée deux mois plus tôt. Au cœur du dispositif, le Centre du service national et la direction de la Protection judiciaire de l'enfance et de la jeunesse du gouvernement.
Ils sont sept dans la salle de classe. Le minimum requis pour pouvoir organiser cette journée un peu spéciale. Sept sur les douze jeunes actuellement incarcérés au quartier des mineurs du Camp-Est. Trois autres ont déjà passé la JDC, un se trouve en semi-liberté, le dernier n’a pu récupérer à temps ses papiers. « Le plus compliqué a été d'obtenir les documents nécessaires auprès des parents : une pièce d'identité pour ceux qui n'en avaient pas, l’inscription en mairie en vue du recensement, le livret de famille… », explique Marie-Paule Sola, responsable du Service éducatif de milieu ouvert et d'insertion (SEMOI) à la direction de la Protection judiciaire de l'enfance et de la jeunesse (DPJEJ).
« On leur a expliqué pourquoi on les avait inscrits à cette journée, à quoi elle servait, qu’ils avaient tout intérêt à la suivre et à obtenir leur certificat, qu’ils en auraient besoin plus tard pour passer certains examens et le permis de conduire », poursuit Marie-Laure Nadeau, chef de service de l’Unité éducative de milieu ouvert (UEMO) au sein du SEMOI.
Nous vivons dans un monde instable
Le contenu de la JDC est géré par le Centre du service national (CSN) et l’animation assurée par le caporal-chef Francis Tokotuu, de l’Armée de l'air, et par deux encadrants citoyenneté, Thierry Mauhourat, chef de session JDC, et le sergent Cyrille Stoecklin. Après avoir rempli une fiche de renseignements, les mineurs écoutent l’animateur dérouler le module intitulé « Nous vivons dans un monde instable » : comment la France prépare-t-elle sa défense, quel rôle tout jeune peut-il jouer dans ce processus…
Suivent deux volets citoyens adaptés à la Nouvelle-Calédonie : le droit à la formation et à l’information, et la sécurité routière. Entre les deux, un « test d’évaluation des acquis fondamentaux de la langue française » qui permet de détecter les personnes en difficultés de lecture. Effectué à l’aide d’une “zapette”, il se compose de deux exercices de compréhension et de trois autres de rapidité.
Passionnés par les rations de combat
Premier bilan, dans l’après-midi : « On a reçu chaque jeune en entretien individuel, pour faire un point sur leur situation, leurs projets, leurs desiderata », indique Thierry Mauhourat. « J'ai animé plusieurs JDC, mais jamais en centre pénitentiaire, confie le caporal-chef Tokotuu. C'est particulier… Mais même s’ils ont fait les pires bêtises du monde, ces jeunes sont des citoyens comme tout le monde et les détenir en prison ne signifie pas les priver de leurs droits ». Se sont-ils montrés à l’écoute ? « Ils ont posé beaucoup de questions, sur les grades par exemple. Ce sont encore des gamins, ils s'intéressent davantage à notre vécu, à notre témoignage, à la présentation des matériels de défense. » Les rations de combat ont fait un tabac. « Ils étaient étonnés de voir qu'autant de repas pouvaient tenir dans une aussi petite boîte. »
Difficile de rester concentré
Le module sécurité routière, en revanche, n’a pas rencontré le même succès. Certains mineurs sont emprisonnés pour délinquance au volant. Pour des conduites à des vitesses parfois vertigineuses. Et le message ne peut prétendre au même impact que sur des collégiens lambda. D’autant que la présence de la mère de l’un d’entre eux sur le spot de sensibilisation projeté au mur déclenche l’hilarité collective pour de longues minutes.
L’excitation grandit, les ricanements croissent, les bouteilles en plastique commencent à voler, les organisateurs décident de retirer le dernier module du programme. « Il saturent au bout d'un moment, c’est normal, note Frédéric Durand, enseignant spécialisé qui intervient auprès des mineurs à l’école de la prison. Ce sont des gamins qui souvent ont été déscolarisés car ils ne tenaient pas en place. Ils sont là, assis depuis ce matin et, avec la pluie, n'ont pas pu se défouler pendant les pauses ».
Les pour et les contre
Demain ou la semaine prochaine, Frédéric et ses mineurs débrieferont, à tête reposée, autour de la JDC et de ses vertus. À chaud, Jacques*, 17 ans (il vient d’en reprendre pour 18 mois), semble satisfait : « C'est bon, je suis content, je ne savais pas qu'on pouvait faire ça ici. Quand ils ont parlé sur l'armée, ça m'a donné envie », assure-t-il, avant d’ajouter qu’il aimerait devenir pompier. Ludovic*, en revanche, estime que cette journée ne « sert à rien » : « J’aurais mieux fait de rester dans ma cellule ». N’a-t-il rien appris ? Il connaissait déjà tout ça, à l’en croire. Mathilde, éducatrice à la DPJEJ, tempère : « Quelques-uns aiment, les autres n’aiment pas. C'est toujours pareil, quelles que soient les activités, cours, prévention, musique… Aujourd’hui certains ont peut-être eu l’impression de perdre leur temps, parce que ce n’est pas très concret pour eux. Mais un jour, à l’occasion de futures démarches, à la MIJ ou ailleurs, peut-être feront-ils le lien, se rappelleront-ils cette journée ».
L’heure de l’évaluation approche. Redistribution des zapettes. « Souhaiteriez-vous recevoir des informations complémentaires sur l'Armée de terre, de l’air, la Marine nationale, la Gendarmerie nationale... ? » « Seriez-vous intéressé par un volontariat dans les armées, un engagement, un volontariat service civique… ? » « Cette journée vous a-t-elle apporté une bonne image de la défense et des armées ? »… Directrice de la DPJEJ, Christiane Tétu-Wolff interroge : « Je voudrais savoir ce que vous avez retenu… ». Silence dans les rangs. Puis l’un se lâche : « Le droit à la parole… on a des devoirs aussi ». Les autres, pêle-mêle : « Respecter la loi, faut mettre sa ceinture, même sans diplôme on peut entrer à l'armée… ».
Répéter toujours les mêmes messages
Bientôt 16 heures, les sept mineurs reçoivent tour à tour leur “certificat individuel de participation à la JDC”, accompagné des encouragements du lieutenant-colonel Éric Plantecoste, directeur du CSN, et d’une solide poignée de main de la directrice. « Ce public vulnérable est en déficit d'éducation, d'affection, d'autorité... en déficit de tout, constate-t-elle. Même s’ils sont en détention, même si leur parcours est difficile, il faut donner à ces jeunes une reconnaissance citoyenne. C’est par ce genre d’initiative qu’ils se sentent valorisés et qu’à partir de là, ils peuvent se reconstruire. »
Selon elle, pas de secret, sinon rabâcher encore et toujours les mêmes messages, qui, à un moment donné, « finiront par impacter ». « C’est le propre de l'adolescence. » Et Christiane Tétu-Wolff d’ajouter, à l’attention des autorités pénitentiaires : « Plus on fera d'interventions socialisantes en détention, plus la maison d'arrêt sera ouverte, plus la sensibilisation aura de chances de toucher sa cible, et mieux on préparera à l'insertion ».