Les jeunes refont le mur
Depuis le début de la semaine, une vingtaine de jeunes en suivi judiciaire repeignent les murs extérieurs du Musée de Nouvelle-Calédonie dégradés par des tags. Un chantier à l’initiative du gouvernement, organisé par sa direction de la Protection judiciaire de l’enfance et de la jeunesse. Au-delà d’un coup de pinceau salutaire, cette action s’intègre aux projets d’insertion professionnelle menés par la DPJEJ, comme le nettoyage des îlots ou des mangroves et les opérations de plantation.
« Protéger notre musée, c’est respecter notre histoire et notre patrimoine » : c’est écrit sur le tee-shirt porté par l’armée de peintres qui, veste ou capuche sur le crâne, entourent les murs d’enceinte du musée depuis lundi. Après nettoyage des surfaces au karcher, une dizaine d’entre eux ont commencé par passer une couche primaire. Deux, voire trois couches de peinture blanche étaient ensuite prévues. Les tags qui salissaient les façades ne disparaissent pas aisément…
Éducateur technique à la DPJEJ, Laurent Mercier dirige les équipes. Dans le cadre des ateliers pédagogiques, il les a sensibilisées en amont aux techniques de base. « Au tout début du chantier, certains jeunes étaient un peu réticents, mais aujourd’hui ils sont motivés, ils bossent, on ne fait qu’une seule pause à midi d’une demi-heure. » Bien sûr Laurent et d’autres éducateurs spécialisés de la DPJEJ montrent l’exemple, pinceau ou rouleau à la main. L’effet d’entraînement par les adultes ; ce qu’on appelle dans le langage éducatif le « faire avec ».
Pour déclencher quelque chose
Si le chantier est bouclé ce vendredi, une vingtaine de jeunes se seront succédé à l’ouvrage. Tous condamnés pour des faits de délinquance, tous en suivi judiciaire. Placés dans des foyers d’action éducative, en train d’accomplir en milieu ouvert des mesures de réparation pénale, ou en activités de jour avec la DPJEJ. L’un d’entre eux, Sammy, détenu au Camp-Est, a été libéré lundi. « Au début je ne voulais pas trop venir, parce que c’est un endroit de passage et je n’avais pas envie qu’on me voie. » Ce que ce gamin de 16 ans pense du projet ? « C’est bien pour la mémoire des vieux et pour les touristes qui voient des murs propres ».
Également de Dumbéa-sur-Mer, Pierre, 17 ans, a déjà fait des petits boulots dans la maçonnerie « avec les tontons et les grands frères ». Lui aussi estime que ce chantier est « une façon de rendre service aux vieux ». « L’éducatrice nous pousse à travailler pour qu’on arrête de faire des bêtises, pour essayer de déclencher quelque chose… »
Un maximum de garanties
Pierre et Sammy ont été nommés sous-chefs de chantier. « Ah bon ? mais vous nous faites confiance ? », ont-ils demandé à Christiane Tetu-Wolff, directrice de la DPJEJ. « Quand je leur serre la main, leur dis qu’ils sont doués pour la peinture et qu’ils devraient se lancer dans cette voie, ils ont tous une banane jusque-là, se réjouit-elle. Ils se sentent valorisés ».
Lorsqu’il lui a fallu donner son feu vert, le juge d’application des peines n’a pas hésité. Au préalable, Christiane Tetu-Wolff avait su fédérer l’ensemble des services et établissements de la DPJEJ. Auprès des plus sceptiques elle a insisté : « Si vous pensez que l’aventure est trop dangereuse, essayez la routine, vous verrez elle est mortelle ! ». Sa force de persuasion a fait le reste. « Un tel chantier ne s’improvise pas, on ne peut pas faire n’importe quoi, il faut respecter un cadre technique et pédagogique et se donner un maximum de garanties. Ces jeunes ne sont pas faciles. Ils saturent très vite, on n’est jamais à l’abri d’un dérapage. »
Le service après-vente de la DPJEJ !
Par ailleurs, certains multirécidivistes ayant interdiction de se rencontrer (en incompatibilité judiciaire), les encadrants ont dû faire en sorte de ne pas les mettre sur le chantier en même temps. Bref, une organisation assez complexe. Mais à l’arrivée, un chantier original, d’envergure (une surface de 600 m2 à repeindre, soit 1 800 m2 au total pour trois couches), sans aucun surveillant pénitentiaire, et porteur d’espoirs. « On voit chez certains une prédisposition et un intérêt pour la peinture, on va donc essayer de les profiler sur des chantiers d’insertion peinture », se félicite la directrice de la DPJEJ.
Le travail fini, Laurent et ses équipes nettoieront les sols au karcher, pour laisser le site propre. « Et chaque semaine on repassera avec une équipe de jeunes pour voir le résultat. S’il y a à nouveau des tags, on les recouvrira immédiatement. » Ce que la directrice a baptisé « le service après-vente de la DPJEJ » ! Dès mercredi matin, après la première couche, les jeunes ont découvert un tag sur la façade nord du bâtiment. Ils ont reconnu la patte d’un ado de Tindu. Et se sont indignés : « On va aller le voir et lui expliquer que c’est dégueulasse, qu’on a passé notre journée à nettoyer et qu’il faut respecter notre travail »…
Respect du patrimoine
Pour le Musée de Nouvelle-Calédonie, un tel chantier représente une aubaine. « Mais, même si les murs qui étaient dans un état atroce sont désormais tout beaux, ce n’est pas “cyniquement” tout bénef, précise Marianne Tissandier, responsable des collections. Cette opération amène aussi les jeunes à prendre conscience qu’il existe un musée, des objets liés à l’histoire de tous les peuples de la Nouvelle-Calédonie, elle les conduit à une réflexion sur le respect du patrimoine ». L’ensemble des peintres aura droit à une visite guidée des lieux et accès à des espaces fermés au public comme la réserve. L’occasion de les sensibiliser au fait que le musée possède la deuxième collection au monde d’objets kanak traditionnels et la première en matière de statuaires kanak. « De leur expliquer qu’on est à la fois un lieu de ressource, de protection et de valorisation de tout ce patrimoine. »
Trois directions du gouvernement impliquées
Comme l’a rappelé Regis Vendegou, directeur de la Culture, lors du geste coutumier d’accueil, ce chantier est le fruit d’un partenariat entre différentes directions du gouvernement : la DPJEJ, bien sûr, mais aussi la direction des Achats, du patrimoine et des moyens (DAPM) qui a fourni la peinture, et la direction de la Culture, de la condition féminine et de la citoyenneté (DCCFC) à travers le Musée de Nouvelle-Calédonie. Durant le chantier, deux heures par jour, des agents du musée et de la DPJEJ ont distribué des flyers destinés à sensibiliser les passants au respect de l’environnement et à la volonté des jeunes de s’en sortir par le travail. Comme le dit Christiane Tetu-Wolff, « quand vous grattez au fond d’eux, il y a toujours quelque chose de bon ». De quoi encourager la DPJEJ à continuer ce type d’initiative. Prochain projet, à finaliser, la construction d’une touque pour la célèbre régate de l’anse Vata.